Blues n°15 : Sur Les Chemins du Blues |
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Chapitre III : En descendant des Appalaches ! Le second grand courant du Blues résulte aussi de nombreux mélanges. Il a donné naissance à une grande variété de styles locaux. On le nomme "East Coast Blues", "Piedmont Blues" ou encore le Blues des Appalaches. La géographie a son importance pour comprendre le Blues de cette vaste région qui longe le littoral Atlantique, du sud d'Atlanta, au nord-est du lac Ontario en passant par le Mont Mitchell (2038 mètres d'altitude, le plus haut sommet de ces moyennes montagnes). En fonction du relief, certaines vallées tournées vers l'ouest ont subi l'influence des villes du Mississippi, mais d'autres orientées vers l'est, longtemps isolées, ont vu éclore des styles originaux pleins de nuances. Dans ce monde clos, se mélangent les mélodies irlandaises des maîtres anglo-saxons, les chants mélancoliques des esclaves, ainsi que les dernières traces de la culture des indiens (dits civilisés !), essentiellement les Cherokees et les Iroquois... Dès le début du vingtième siècle, chaque vallée des Appalaches avait ses bluesmen locaux... Ici, pas de coton, mais la culture du tabac (la "tobacco belt" ), une activité plus industrielle, proposant de l'embauche à une classe ouvrière noire moins misérable que dans le Delta. La légende rappelle que le fameux Blind Boy Fuller, l'un des principaux initiateur de ce genre de Blues, possédait une fortune enviable et n'hésitait pas à venir mendier à la sortie des usines en voiture avec chauffeur... Le long de la Côte Est, la population est généralement plus politisée, avec une conscience syndicale développée. Bien évidemment, elle souhaite entendre des Blues évoquant ses propres préoccupations. Ce sont ces thèmes que chantent des bluesmen politiquement engagés tel Josh White, Brownie Mc Ghee, Sonny Terry, et certains de leurs textes ont dû faire avaler leur cagoule à plus d'un hystérique du Ku Ku Klan ! Le courage de ces artistes leur vaudra souvent des ennuis avec la justice américaine pendant la période du Maccarthysme, et même parfois l'exil. La principale caractéristique musicale de ce courant reste la grande dextérité de ces guitaristes. Ce sont les rois du "fingerpicking" et la fluidité de leur jeu laisse tout amateur de guitare, baba... Les liens avec la musique country sont étroits : par exemple, l'œuvre du méconnu Carl Martin, enregistrée à la guitare ou au violon dans les années trente, pourrait séduire n'importe quel auditeur du Grand Ole Opry ou de la Carter Family ! Le Blues des Appalaches est d'abord un Blues joué "acoustique", et cela explique son déclin relatif dans les années cinquante. A cette époque, la subtilité des guitaristes de la Côte Est n'impressionne plus la communauté afro-américaine, qui souhaite plutôt s'enivrer de sons électriques. Beaucoup d'artistes tel Guitar Gabriel, Larry Johnson ou Peg Leg Sam végèteront de longues années, avant d’être redécouverts, dans les années soixante. A cette époque, de Boston à Washington, la jeunesse manifeste son opposition à l' "American Way Of Life", et son refus de la guerre au Vietnam. Ce jeune public blanc est attentif aux discours des grands orateurs tel Martin Luther King qui rêve d'une société plus juste, sans racisme et sans à priori. Les étudiants contestataires se retrouvent dans les propos revendicatifs de Woody Guthrie, et de tous ces "folksingers" issus de la grande dépression de 1929. Ces derniers ont côtoyé les vieux bluesmen, les descendants d'un peuple si longtemps opprimé, et font découvrir à la jeunesse U.S. ces héros du prolétariat rural qu'elle ignorait jusqu'alors, ségrégation oblige ! Pete Seeger fera découvrir aux progressistes new-yorkais, le légendaire Leadbelly. Sans ce géant, le folk urbain né à Greenwich Village serait bien terne, et Bob Dylan se serait vu privé d'une de ses sources d'inspirations favorites. Allez demander à Jorma Kaukonen (futur Jefferson Airplane et Hot Tuna) d'ou vient son style flamboyant ? Avec admiration, il revendique le jeu de guitare du révérend Gary Davis qui lui même enseigna plus tard tout son art à Bob Brozman. Ce East Coast Blues nourrira une pléiade de musiciens à travers le monde. En France, le guitariste Cisco Herzaft rappelle que son prénom témoigne de l'admiration qu'il porte à Cisco Houston, compagnon de route de Guthrie, et en Grande Bretagne les célèbres Pink Floyd ne doit rien à un quelconque oiseau unijambiste, mais plutôt à la volonté de rendre hommage aux bluesmen Pink Anderson et Dipper Floyd Council... Suite |
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